Portrait de sous-titreuse : Elsa

Elsa est traductrice et sous-titreuse professionnelle. Elle est diplômée de l’Institut de traduction et d’interprétation de Strasbourg. Elle nous dévoile ici quelques secrets du sous-titrage.

Peux-tu nous raconter ton parcours ? Qu’est ce qui t’a amené vers la traduction ?

Après des études de droit et de philosophie, je me suis réorientée à 30 ans en passant un diplôme en traduction, mention adaptation audiovisuelle et accessibilité à l’Université de Strasbourg.

Pour ce qui est de mon intérêt pour la traduction, j’ai passé mes premières années d’école primaire aux États-Unis. Par la suite, je me suis toujours sentie chez moi entre le monde anglophone et le monde francophone. Cinéphile par ailleurs, j’ai voulu mettre cet attrait au service des films et documentaires qui me plaisaient.

Tu as fait des études de traduction audiovisuelle. Quelles sont les spécificités de ce genre de traduction ? Qu’est-ce que l’adaptation ?

Comme son nom l’indique, la traduction audiovisuelle s’attache à la traduction de contenu filmé. Sa spécificité est donc essentiellement spatio-temporelle : la traduction doit respecter le temps du dialogue, et pour ce faire elle dispose d’un espace restreint, que ce soit en sous-titrage, en voice-over, en doublage ou même dans les disciplines qui ont trait à l’accessibilité du contenu audiovisuel pour les personnes malvoyantes ou malentendantes.

Comme pour toute traduction, il est nécessaire d’adapter le texte traduit à la langue cible, mais s’y ajoutent des contraintes spécifiques qui varient selon les disciplines audiovisuelles. En sous-titrage, on privilégie la concision, la diversité du vocabulaire et la lisibilité. En voice-over, également appelé doublage non-synchrone, très utilisé en documentaire télévisé, l’objectif est d’écrire une adaptation cohérente et bien structurée (ce qui n’est pas forcément les cas des intervenants à l’écran !) quitte à étoffer un peu l’intervention. Il est même recommandé de vérifier les informations délivrées par les intervenants et de les modifier au besoin ; chaque client dispose de sa propre politique à cet égard. En doublage, on peut parfois se permettre de modifier complètement les termes utilisés (tout en gardant le sens original, évidemment) s’ils tombent bien en bouche et semblent plus naturels à l’oreille.

Jean-Luc Godard (réalisateur), A bout de souffle, Carlotta films, 1960, 89 minutes

Peux-tu nous décrire les étapes du sous-titrage ?

La première étape est celle du « repérage », c’est-à-dire l’action de délimiter la durée de chaque sous-titre. Un bon repérage s’attache à respecter le temps de parole des personnages, en élaborant des sous-titres qui évitent, autant que possible, de passer les plans, car cela alourdit subrepticement la lecture pour le spectateur.

Il s’agit d’un geste technique qui faisait, il y a encore quelques années, l’objet d’un véritable métier. Aujourd’hui, de plus en plus d’adaptateurs s’en chargent eux-mêmes à l’aide de leurs logiciels de sous-titrage.

On passe ensuite à l’adaptation des dialogues proprement dite. Enfin, on relit son travail avant simulation, c’est-à-dire avant relecture en conditions réelles par le prestataire.

À ton sens, quelle est la plus grande difficulté du sous-titrage ?

En sous-titrage professionnel, nous disposons d’un nombre de caractères et de lignes restreints pour traduire, qui sont délimités par le temps plus ou moins long qu’un personnage met à dire une réplique. Il faut donc savoir restituer toute la subtilité d’un dialogue parfois touffu en quelques mots bien sentis, sans rien perdre du sens. Il s’agit à mon avis de la plus grande difficulté, mais aussi du plus grand plaisir de cet art de la synthèse optimale qu’est le sous-titrage.

En traduction « commerciale » une omission est une faute grave alors qu’en sous-titrage la « condensation » fait partie du travail. Quels critères doit-on utiliser pour parler d’un bon sous-titrage ?

Effectivement, on dit souvent qu’au fond, un sous-titre se présente comme une « béquille » pour le spectateur. Il n’est qu’un soutien visuel, en réalité assez encombrant, à la compréhension de l’action. Dans ces conditions, un bon sous-titrage sait se faire oublier. Il doit aller à l’essentiel, se lire confortablement, sans perdre de vue les spécificités techniques ou linguistiques du dialogue à traduire.

J’ai l’impression que la France a longtemps « résisté » au sous-titrage, préférant le doublage, qu’en penses-tu ? 

Chaque pays dispose d’une « tradition » qui lui est propre en la matière. Certains petits pays (comme les pays scandinaves, par exemple) privilégient le sous-titrage, d’autres (comme l’Allemagne) le doublage. Ce sont deux techniques qui ont chacune leurs points forts et leurs points faibles. En France, on a une tradition plutôt mixte, avec souvent des blockbusters en VF et des films d’art et essai sous-titrés.

As-tu déjà travaillé pour le cinéma ? Peux-tu nous raconter ?

Mes expériences pour le cinéma se limitent à des films de festival pour l’instant ! J’ai notamment sous-titré un film pour le festival de Locarno en 2017. L’expérience était très riche, car j’ai eu la chance d’avoir accès aux versions de travail du film, ce qui m’a permis une compréhension plus approfondie de l’œuvre. Par ailleurs, mes sous-titres ont été relus par le réalisateur lui-même qui a pu avaliser mon travail. Sur ce dernier point, l’expérience était aussi intéressante, car le réalisateur ne connaissait pas bien les contraintes propres au sous-titrage. Il faisait parfois des modifications impossibles à lire pour le spectateur ! Il m’a donc fallu faire preuve de tact et de persuasion pour le convaincre du caractère parfois nécessairement synthétique de certains sous-titres.

Peux-tu nous parler du sous-titrage pour le théâtre ? As-tu déjà travaillé dans ce milieu ?

Lors de ma formation, nous avons eu un module consacré au surtitrage (le « sous-titrage » au théâtre). En plus des contraintes propres à toute traduction, l’un des enjeux majeurs de cette technique semble être le « calage » des surtitres. L’adaptateur prépare son texte en s’appuyant sur des vidéos de répétitions de la pièce. Mais le jour de la représentation, il doit « lancer » ses surtitres en direct et en personne, et savoir parer à toute éventualité, retard, improvisation des comédiens, trous de mémoire, etc. C’est passionnant !

L’avenir de la traduction se voit en partie menacé par l’avènement de logiciels de traduction de plus en plus performants, que penses-tu de l’avenir du sous-titrage ?

Je ne suis pas particulièrement inquiète de ce côté-là – peut-être à tort, car il me semble que le niveau d’adaptation nécessaire à la réalisation d’un bon sous-titrage, juste, fluide et percutant nécessite encore le discernement et la subtilité propres au cerveau humain.